Tous les jours, on se lève en se disant que demain ça ira mieux. Le matin, on allume notre radio en soufflant sur notre café chaud. Le soleil se lève, le ciel s’éclaircit, les oiseaux chantent, et bien au chaud, abrité dans les confins de notre foyer, les yeux rivés sur nos écrans, on reste fixé sur les actualités du monde.
Le monde… Quel monde ? Un monde entièrement construit par nos soins, où sous les néons des salles aseptisées, on s’affaire à analyser des points PIB, à juger du bien fondé des agissements de nos semblables, et où notre liberté chérie nous conduit si souvent à détruire notre avenir. À coups de plus vite, plus fort, plus nombreux, plus loin, on en oublie où ça nous mène.
On avance. Avancer ? Tout un concept. Le sens de l’histoire, le progrès, la technologie… Demain sera toujours mieux qu’hier. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder derrière nous, dans les archives de l’Histoire. Là où on voit des gens amaigris, fatigués par un quotidien qui les use jusqu’à la moelle, où les ravages du temps se lisent sur les visages, et où demain est toujours incertain. Alors on avance. Pour que demain soit mieux. À chaque nouvelle maladie, une cure. À chaque défi, une réponse technologique. Assurément, l’avenir nous sourit. Demain sera mieux. Plus confortable. Plus beau. Plus connecté. Plus prospère.
Prospérité ? Quelle prospérité ? Celle des objets, ma foi qu’on est friands d’objets. De toujours plus d’objets. D’objets et de certitudes. La certitude d’avoir tout ce dont on a besoin. Manger, boire, se divertir. Il faut bien avoir assez d’objets pour se divertir, consommer et séduire. C’est peut-être ça la prospérité. Mais à force de diversions, consommations et séductions, on est aveugles. Progrès, prospérité, que de mots pour désigner un mode opératoire où la seule issue est encore et toujours la destruction.
Destruction ? Nous autres, drôles de créatures, semblons terriblement convaincues qu’il n’en est rien. On ravage une planète qui nous a pourtant créée, qui nous nourrit, qui nous émerveille. À chaque nouvelle découverte, un écosystème s’effondre. À chaque bénéfice, une espèce éradiquée. Un nouveau loisir ? Une ressource appauvrie. Depuis nos tours en béton, on court après le temps. De réunion en réunion, d’écran en écran, on se dit que sans bénéfices, le monde court à sa perte.
Que faut-il faire pour que je prenne conscience ? La dépression me guette, la vie se vide de son sens. Réussir – coûte que coûte – est devenu une fin en soi. S’adapter, toujours s’adapter. À la rapidité, à la pollution, aux nouvelles maladies, à un monde en surchauffe. Mais jamais une pause. Jamais plus qu’une pause-café. On pourrait, juste une fois, prendre le temps de prendre du recul, de la hauteur. Tenter d’utiliser nos cerveaux pourtant si aboutis pour entrevoir où tout cela nous mène. De lever les yeux. De regarder en avant, au lieu de fanfaronner devant la vitesse à laquelle on y va.
Au lieu de ça, on a analysé, conceptualisé, théorisé, légiféré pour justifier et se dédouaner de notre course à la destruction. Promener des fils de coton et des bouts de plastique dix fois autour du monde pour économiser quelques centimes ? Couper les forêts dont on dépend pour respirer ? Déverser des déchets toxiques dans nos sources de nourriture ? Voyager au bout du monde en avion pour voir le dernier glacier polaire avant qu’il ne fonde ? C’est logique. C’est la loi du marché.
Loi du marché ? Mais quelle étrange manière de justifier nos agissements. Une main invisible qui redresse l’économie, qui régule. Qui nous pousse à chercher des ressources rares à des milliers de mètres au fond de l’océan, à écraser des populations pour une rentabilité malheureuse. Une offre qui créée une demande, parce que jamais nous n’en aurons assez. Jamais ne saurons-nous être satisfaits ? Plongés dans notre propre bêtise, on ne comprend même pas l’ironie de notre sort.
Les larmes et le sang de générations à ne plus pouvoir les compter n’y font rien. Les indices d’un monde qui change auquel peu pourront s’adapter, des inégalités croissantes, des ressources amoindries, des champs appauvris et des sources taries. Les premiers signes clairs d’un monde en désarroi, qui pourrait guérir si seulement on en prenait la peine. Depuis plus de cent ans, certain.es de nos semblables nous préviennent. Nous alertent. Et crient qu’il nous est impossible de poursuivre sur cette route. D’avantage de tempêtes, des nouvelles maladies, la ville qui étouffe, la forêt qui flambe, la banquise qui fond, la mer qui monte.
Pourtant, je ne réagis pas. On ne réagit pas. Regarder devant, c’est devenu effrayant.
Alors, l’heure est venue. L’humain, l’être qui pense qu’il pense, une espèce en théorie capable de cohabiter en harmonie sur une Terre aux ressources finies, qui admire la nature et s’en inspire, qui s’organise, et collectivement construit, a besoin de changer.
De stopper cette course à la stupidité.
De prendre le temps de respirer, pour ne pas se saboter.
FIN